Carte blanche : Pour un système fiscal belge enfin plus juste

1 octobre 2024 - Categories : Actualités

Pour un système fiscal belge enfin plus juste

Publié le 30 septembre dans le journal La libre.be. 

Une fiscalité juste doit demander une contribution équilibrée à chacune et chacun en fonction de ses moyens et ce, peu importe la nature des revenus. Une opinion signée par un collectif d’ONG et de syndicats (*).

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La coalition Arizona envisage de réaliser une réforme fiscale. Il s’agit d’une opportunité de rendre le système belge enfin plus juste. Une fiscalité juste doit demander une contribution équilibrée à chacune et chacun en fonction de ses moyens et ce, peu importe la nature des revenus. Les recettes fiscales collectées doivent ensuite permettre de financer des politiques publiques et des services publics qui font le ciment de notre société : l’enseignement, les soins de santé, la justice, la sécurité ou encore les transports publics.
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En Belgique, l’injustice fiscale concerne en particulier la différence entre la taxation des revenus du travail et celle plus faible du capital, ainsi que le manque de progressivité de l’impôt sur les personnes physiques. Le système fiscal belge est en effet taillé en faveur des détenteurs de capitaux au détriment des travailleuses et travailleurs. D’un côté, les impôts sur les salaires sont parmi les plus élevés au monde. De l’autre côté, les détenteurs d’actions cotées en Bourse ne paient pas d’impôt sur les plus-values réalisées. La Belgique est ainsi le pays de l’OCDE où l’écart de taxation entre les revenus du travail et les revenus issus de plus-values est le plus grand.

Propositions imparfaites

À cette aune, une réforme visant à réduire la taxation des revenus du travail et à augmenter la taxation des revenus du capital pourrait avoir pour effet de rendre le système fiscal belge plus juste. On peut se réjouir que le sujet soit abordé par la coalition Arizona, après l’avoir été par la coalition Vivaldi, mais les divergences subsistent et les propositions sur la table restent imparfaites. Nous avons pu entendre beaucoup de voix s’élever dans le débat récent sur la taxation des plus-values qui a animé les soirées des futurs partenaires de la probable coalition Arizona, mais trop peu d’intervenants ont abordé la boussole qui devrait guider une réforme de la fiscalité : la justice fiscale.

D’une part, il n’est pas vrai que la taxation des plus-values affecterait en priorité les classes moyennes supérieures. En Belgique, les 1 % les plus riches possèdent 24 % de la richesse nette totale du pays, surpassant ainsi la richesse cumulée des 70 % les moins riches. La concentration des richesses est encore plus flagrante en ce qui concerne la détention d’actions de sociétés cotées en Bourse puisque, selon la Banque nationale de Belgique, les 10 % les plus fortunés possèdent environ 80 % de la valeur des actions cotées, alors que la moitié la plus pauvre de la population en possède moins de 1 %. La non-taxation des plus-values est donc une niche fiscale qui bénéficie essentiellement aux 10 % les plus riches.

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” Un système sans failles ni déduction et avec un taux plus élevé permettrait
de générer plusieurs milliards d’euros qui pourraient en contrepartie financer
une réduction significative de la taxation des revenus du travail.

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D’autre part, la taxation des plus-values proposée par la note De Wever est très faible et ne serait, dans les faits, payée que par très peu de contribuables. En effet, une taxation de 10 % assortie de plusieurs exemptions, telle que proposée, ne permettrait de collecter que des recettes fiscales limitées. Alors qu’un système sans failles ni déduction et avec un taux plus élevé permettrait de générer plusieurs milliards d’euros qui pourraient en contrepartie financer une réduction significative de la taxation des revenus du travail.

Enfin, un tel shiftfiscal aurait pour effet de mettre fin à une exception belge, puisque notre pays est un des seuls de l’Union européenne à ne pas taxer les plus-values, alors qu’il est le pays où la pression fiscale sur les revenus du travail est la plus élevée.

Les enjeux d’une réforme fiscale relèvent avant tout de l’intérêt général : alléger la fiscalité sur les bas et moyens salaires pour redonner du souffle aux classes moyennes et populaires et augmenter le taux d’emploi ; garantir une réforme fiscale neutre budgétairement afin de ne pas creuser le déficit public et d’assurer le financement des services publics et de la transition écologique.

La réalité des faits

Certains voudraient nous faire croire qu’il est possible d’équilibrer un budget et de réduire le déficit public en n’agissant que sur les dépenses, et que cela serait indolore pour l’ensemble de la population. À ces discours, il faut confronter la réalité des faits. Rappelons ainsi que le dernier projet d’accord de gouvernement de la coalition Arizona prévoyait des économies dans les soins de santé et les services publics en général, une suppression des compléments de salaires négociés en contrepartie des prestations de travail de nuit, des coupes dans la coopération au développement, la politique scientifique ou les allocations sociales ainsi qu’une TVA plus élevée sur des produits de base.

Pourtant, selon l’office belge des statistiques, plus de 2,1 millions de Belges courent actuellement un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Le risque de pauvreté monétaire touche 12 % de la population, dont un quart sont des familles monoparentales. La proportion de travailleurs et travailleuses pauvres est en augmentation ces dernières années. Plutôt que de demander une contribution plus importante aux épaules les plus larges et d’alléger la taxation des salaires des classes moyennes et populaires, on cherche à faire porter le poids de l’austérité sur le reste de la population, dont les plus précaires et les plus vulnérables.

La voie de l’austérité n’est pas la seule voie à suivre, il existe des alternatives fondées sur la justice fiscale. Même ce petit État du sud-ouest américain l’a compris : l’Arizona taxe, comme la plupart des pays européens, les plus-values.

Photo d’illustration : Annie Spratt sur Unsplash

(*) Les signataires sont : Arnaud Zacharie (Secrétaire général du CNCD-11.11.11), Ariane Estenne (Présidente du MOC), Charlotte Renouprez (Présidente des Équipes Populaires), Christian Valenduc (Président Action Vivre Ensemble), Daniel Puissant (Secrétaire du Réseau pour la Justice Fiscale), Elise Derroitte (Vice-Présidente – Mutualités Chrétiennes), Eva Smets (Directrice générale d’Oxfam Belgique), Jean-Pascal Labille (Secrétaire général de Solidaris), Marie-Hélène Ska (Secrétaire générale de la CSC), Noémie Van Erps (Secrétaire générale de Soralia), Sarah de Liamchine (Directrice du Mouvement PAC et Pierre Vangilbergen, directeur adjoint du Mouvement PAC) et Thierry Bodson (Président de la FGTB).